Uber chez Louis XIV
Ou comment entreprendre avec des algorithmes pour simplifier la vie des Parisiens et nourrir les indigents face à une catastrophe climatique et sanitaire (suite)
Résumé du précédent billet: Pascal fut aussi un entrepreneur tech … sans succès au début!
Et 20 ans plus tard, en 1661, l’étincelle entrepreneuriale resurgit cette fois avec toute la maturité acquise : Pascal va inventer l’incroyable affaire des Carrosses à Cinq Sols et acquérir en moins de 6 mois une immense fortune. Les Carrosses sont tout simplement le premier service de taxis collectifs de la ville de Paris. Un service de co-carrossage à cheval assurant une régularité tous les demi-quarts d’heure sur des trajets balisés et un tarif unique. Une affaire conçue et développée pour être la plus … scalable possible !
Les modèles de trafic concoctés par Pascal, “maître algorithmique”, permettent aux 4 associés co-fondateurs d’optimiser les trajets & fréquences les plus rentables : cette fois, il s’agit d’une pure innovation d’usage, foin du techno-push coûteux de la Pascaline. Le modèle d’affaire est conçu pour être le moins capitalistique possible pour croître rapidement. Au lancement du service en mars 1662, ils se voient obligés de sous-traiter au prix fort le service de carrosse, devant payer 100% d’avance face à l’incertitude maximale. Mais le succès immédiat du service renverse intégralement le rapport : les sous-traitants devront désormais non seulement verser à l’entreprise pascalienne d’énormes “royautés” sur les sommes collectées pour avoir le droit d’y participer. Bientôt même, ils devront acquitter une rondelette licence pour être agréés … c’est non seulement le premier “service de transport à base de calculs mathématiques” mais la véritable plateforme.
Le modèle a un tel succès que rapidement les associés vont l’étendre à d’autres villes du royaume de France, Lyon, voire peut-être à Amsterdam… Et ce, avec toutes les caractéristiques d'un véritable pitch plateforme. Car Pascal aura à cœur de soigner sa communication "pour aller de partout à partout": ce slogan est accompagné d'un véritable marketing d'influence qui ira jusqu'au roi. Il demandera un trajet passant près du palais, en passant par l’obtention de lettres de privilèges, En théorie, l’équivalent de nos brevets pour cadenasser le “winner takes all”. En fait, une protection bien fragile sur une durée très limitée. Car les brevets d’usage se contournaient aussi bien à l’époque classique qu’aujourd’hui: à condition d’investir le temps et l’argent en avocats ou copie habilement décalée.
Mais ce n’est pas tout !
Contrairement à ce que pourraient penser certains commentateurs qui objecteraient que le sage Pascal s’est quelque peu fourvoyé en fin de vie en virant vers le commerce lucratif … : que nenni ! Car cette fabuleuse histoire entrepreneuriale intervient lors des derniers mois de vie de Pascal souffrant, au printemps 1662. Selon ce que certains écrits laissent présager, c’est probablement en pleine conscience que le philosophe et génie de sagesse classique va investir toutes ses forces dans cette incroyable affaire. Alors qu’il souffre terriblement déjà, et que la préparation de l’Apologie qu’auraient dû devenir les Pensées l’occupent.
Car lors du terrible hiver 1661, les pauvres de la région de Blois vont subir l’indigence la plus terrible, la famine, la misère… et Pascal va oeuvrer de toutes ses forces pour gagner le plus d’argent possible avec sa startup parisienne et reverser au plus vite des sommes aux indigents de Blois. Quitte à effrayer sa sœur ou ses associés, avec des projets de retrait prématuré de liquidités de l’entreprise encore jeune. Quitte à céder aux œuvres le bénéfice de ses parts lors de sa mort peu de temps plus tard, pendant l’été 1662.
Désordre climatique et crise sociale, encombrement des métropoles, innovation d’usage, algorithmes d’optimisation, fortune entrepreneuriale disruptive, cession des parts à une fondation caritative …
Tiens donc ! … Pascal es-tu parmi nous ?
Un appel salutaire à l’action entrepreneuriale qui résonne encore face aux incertitudes des temps présents (Pensées) :
(…) Combien de choses fait-on pour l’incertain, les voyages en mer, les batailles …s’il ne fallait rien faire pour le certain (...), il ne faudrait rien faire du tout car rien n’est certain (…) Or quand on travaille pour demain et pour l’incertain on agit avec raison: car on doit travailler pour l’incertain par la règle des partis qui est démontrée (…)
NB: Pour aller plus loin, consulter notamment le passionnant ouvrage “Le Carrosse à Cinq Sols” d’Eric Lundwall dont nous recommandons la lecture.